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Mes Salons

Dernière mise à jour : 4 déc. 2022

J’aime les salons du livre ; je les aime pour les rencontres d’autres auteurs et du public. Bon, soyons honnête : je n’ai fait que de petits salons, en France et en Suisse romande. Paris et Bruxelles attendent encore ma venue.


Ma grande découverte est que les salons se ressemblent, par-delà la frontière ou la diversité de leurs visiteurs (en majorité des visiteuses). Autrement dit, de salon en salon, j’ai découvert l’eau chaude. Prêt pour un bain ?


A l’ouverture, j’arrive avec deux sacs, l’un avec mon stock de livres, l’autre avec mes portes-livre, mes marques-page, des flyers, quelques accessoires et une nappe. Mon stock, c’est une vingtaine d’exemplaires de « Rome est une femme ». Vous pensez que vingt livres pour un jour c’est peu ? Que dire alors des salons où je n’en ai pas vendu un seul ? Quand j’en vend dix, je suis aux anges. Alors vingt : c’est l’extase, la transe, l’épectase (quoique je sois encore vivant).


L’extase est d’autant plus ardue qu’il y a toujours l’auteur ou l’autrice vers laquelle le public va sans hésitation, comme le fer va à l’aimant. Fils ou fille du lieu, enseignante au lycée, universitaire grandie dans la campagne voisine et accomplissant une belle carrière dans la capitale, le profil du chouchou du public est assez similaire de fois en fois. Mais il peut aussi ne pas être indigène et compenser ce handicap par une belle gueule, une couverture réussie sur son livre, une belle photo sur son stand, un charisme.


Les visiteurs achètent ses ouvrages, lui sourient, lui serrent la main, s’agglutinent autour de sa table, sollicitent des dédicaces et repartent béats. Moi qui ai le malheur d’être son voisin, c’est à peine si l’on me parle et si j’existe. Je disparais derrière le mur du public agglutiné autour de ma voisine, dont les fans me gratifient de regards compatissants.


Il arrive aussi que ma voisine fasse de mauvaises ventes et cherche à se rattraper en déployant sur moi tout son bagout. Je dois résister. Si ses livres m’intéressaient vraiment j’en aurais sans doute déjà acheté un. Surtout, si je ne maîtrise pas, je dépenserai bien plus à chaque salon que le maigre chiffre d’affaires que j’y réalise. Prudence donc !


J’ai essayé différentes étiquettes pour promouvoir mon livre. Le principe de base s‘apparente à l’elevator pitch : il faut pouvoir définir son œuvre en peu de paroles. J’ai commencé par utiliser le label de « polar historique », mais j’ai vite constaté qu’il éloigne les personnes qui ne se sentent pas d’affinité avec les polars ou avec l’histoire.


J’ai ensuite posé la question « êtes-vous allé à Rome ? », la ville qui sert de décor à mon intrigue. Là aussi, chou blanc. Je n’obtenais que des réponses négatives ou, quand la personne avait visité l’Urbs et l’avait aimée, le fait de raviver le souvenir agréable du voyage stendalhien éloignait mon interlocutrice de mon livre pour la plonger dans ses souvenirs.


Au final, j’ai développé un abord qui commence par « c’est un polar historique » et continue par « qui me permet de tisser plusieurs récits au long de l’enquête ». Ça fonctionne en ce sens que je parviens à capter l’attention de certains passants, mais l’acte d’achat ne suit pas systématiquement, loin de là !


Voilà qu’arrive l’auteur secret, le génie inconnu qui n’a encore rien publié et sait cependant qu’il a la capacité de générer un tremblement de terre littéraire s’il osait le faire. Sur un ton confidentiel, il partage avec moi la trame du roman qu’il n’a pas encore écrit mais qui a le pouvoir de changer sa vie dans laquelle il ne semble pas heureux. Il quête mon approbation, car il me gratifie de manière muette du statut d’« ancien » en vertu de mon unique roman publié. Il me quitte sans rien acheter.


J’ai réfléchi à la question de savoir pourquoi il est difficile de vendre mon livre dans ces salons. La réponse est simple. Que ce soit à Charmey, Thonon ou Belley, les visiteurs veulent des histoires dans lesquelles ils peuvent se reconnaître parce qu’elles parlent des lieux qu’ils fréquentent quotidiennement ou de réalités qu’ils vivent. Cela explique aussi, dans ce contexte spécifique, le succès des récits de vie. C’est le triomphe du livre « zéro kilomètre » sur le livre dont la charge d’humanité transcende les cultures et les frontières.


Il y a d’autres genres porteurs (mais je ne m’y inscris pas). Le fantasy et la romance sont aussi omniprésents qu’ils me sont étrangers. De même, en France, les épopées moyenâgeuses ont un public d’aficionados. Vous pensez que le règne du roi Soleil ou le premier empire incarnent le paradis perdu pour les habitants de ce pays ? Que nenni ! Dans l’inconscient collectif, le moyen-âge occupe une place à part. Avec une bonne maîtrise des réseaux sociaux, un peu de savoir-faire et l’utilisation d’un vocabulaire qui fleure bon l’époque féodale – damoiseau, damoiselle, messire, spadassin, pucelle – on peut écrire 300 pages qui se vendront bien.


J’ai parfois l’impression que dans l’imaginaire français le moyen-âge et la révolution ont en commun d’être des mondes idéalisés et inaccessibles. De même que le grand soir promet une société équitable et égalitaire dont l’échéance toujours repoussée ne viendra sans doute jamais, le moyen-âge concentre la nostalgie d’une société unie, de rapports sociaux basés sur l’honneur et la parole donnée et de l’hégémonie culturelle de l’Europe – pour ne pas dire de la seule France. Deux paradis situés aux deux extrêmes du continuum temporel : le futur indéfini et le passé imaginaire unis dans un refus du présent.


La « littérature » en revanche est un peu l’intruse de ces salons locaux. Moi qui essaye de faire en sorte que la somme de mes mots soit plus que la somme des lettres qui les composent, moi qui essaye de créer un univers, de choisir mon vocabulaire avec soin (essayez de trouver « pucelle » ou « manant » dans « Rome est une femme » !) d’emmener le lecteur dans un lieu qui ne soit ni préfabriqué, ni artificiel, ni bâti en assemblant des clichés, je traverse ces salons comme on vit une campagne électorale (j’en ai fait) : il faut aller chercher chaque voix, chaque lecteur, un par un.


Et parfois, à quelques minutes de la fermeture, alors que les cartons sont déjà sortis pour les rangements et que la journée a été mauvaise quant aux ventes, une silhouette s’approche et d’une voix douce demande un livre dédicacé. C’est la sirène du soir (espoir), elle existe, j’en ai rencontré plus d’une !


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